dimanche 18 avril 2010

La ville des Mame


À Paris comme dans telle ou telle ville de province ou de l’étranger, le curieux rencontre ici et là des monuments, immeubles, statues, plaques commémoratives, monuments funéraires ou autres, liés au livre et aux gens du livre. En France, la ville de Tours n’échappe pas à la règle, grâce notamment à la maison Mame.
Venue d’Avignon, la famille Mame s’établit au XVIIIe siècle à Angers, mais c’est à Tours que la maison atteint un développement qui en fait, au XIXe siècle, une des premières entreprises de la branche dans le monde. Imprimeur et libraire de l’archevêque, Mame joue à fond la nouvelle carte de la rationalité industrielle. À côté de quelques titres spectaculaires (la Touraine illustrée par Gustave Doré, en 1865), la maison produit en masse des livres pour l’Église, paroissiens, etc., mais aussi une littérature «bien pensante» pour la jeunesse, livres scolaires et surtout livres d’étrennes présentés sous d’élégants cartonnages romantiques (en tête, la collection de la «Bibliothèque de la jeunesse»: cf cliché).
La grande usine Mame de Tours produit, en 1867, six millions de volumes par an, «chiffre auquel n'atteignaient point, il n'y a pas encore si longtemps, les presses réunies du monde entier…» Malheureusement, Tours est une ville relativement peu étendue, coincée entre la Loire et le Cher, et qui sera durement touchée lors des combats pour le contrôle de la Loire en 1940: parmi les immeubles rasés figurent la Bibliothèque municipale, mais aussi l’ancienne imprimerie Mame, plus tard reconstruite boulevard Preuilly.
Pourtant, la topographie urbaine rend compte aujourd’hui encore de la présence de la dynastie des grands imprimeurs-libraires dans la ville. Si l’ancienne usine a disparu, il n’en est pas de même de l’hôtel particulier d'Alfred Mame, aujourd’hui 19 rue Émile Zola. À quelques centaines de mètres de la cathédrale Saint-Gatien et de l’archevêché, l’ancien hôtel élevé en 1767 pour l’armateur nantais Lefebvre de Montfray (cf cliché) est acheté par Alfred Mame en 1872, qui le fait réaménager et y appose son monogramme au pignon de la façade principale –monogramme qui n’est pas sans faire penser à une marque d’imprimeur (cf cliché).

Tout différent est l’ensemble connu sous le nom de Cité Mame et établi sous le Second Empire un peu plus loin du centre, à l’ouest de la ville. Alfred Mame commande en effet à l’architecte Henri Racine soixante-deux maisons familiales indépendantes, élevées autour d’une place et destinées aux employés de la Maison. Cet ensemble existe toujours. Évitons pourtant les assimilations hâtives. Le paternalisme du grand industriel a certes une visée économique (il faut fixer la main d’œuvre) et renvoie à un modèle que l’on jugera quelque peu conservateur (il faut s’attacher la fidélité des ouvriers, favoriser la paix sociale et encourager un certain nombre de valeurs traditionnelles). Mais il correspond aussi à un véritable souci philanthropique: les loyers de la Cité Mame sont sensiblement inférieurs à la moyenne de l’époque, et le patron met en place un certain nombre de structures d’entraide et d’assurance, outre une boulangerie coopérative, etc. Les productions de Mame sont régulièrement distinguées lors des expositions universelles, mais Alfred Mame reçoit aussi, en 1867, un prix de 10000f. pour avoir créé un de ces «établissements modèles» rêvés par Napoléon III et «où règnent au plus haut degré l’harmonie sociale et le bien-être des ouvriers».

Le souvenir des Mame se rencontre encore ailleurs dans les environs de Tours: Alfred Mame constitue en effet autour de son château de Savonnières une des plus belles propriétés (400 ha!) du département. À Chanceaux en revanche, aux portes de Loches, nous sommes sur les terres des Schneider, fondateurs du Creusot: mais c'est là que, en 1904, Marie-Élisabeth Schneider épouse le jeune Armand Mame. Aujourd’hui, Chanceaux est connu pour accueillir chaque année la grande manifestation de la « Forêt des livres », manifestation dont l’organisateur, Gonzague Saint-Bris, descend lui-même des Mame.
Signalons pour finir le programme de recherche engagé depuis quelques années à Tours, sous la responsabilité de Cécile Boulaire: cf http://pagesperso-orange.fr/projet.mame, et http://mameetfils.hypotheses.org/.

(Clichés : 1) Médaillon aux initiales d’Alfred Mame ; 2) Hôtel Mame ; 3) Exemple de cartonnage sur un volume de la «Bibliothèque de la jeunesse». Clichés FB).

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