mercredi 7 juillet 2010

Topographie parisienne

La Sorbonne actuelle représente à Paris un haut lieu de l’histoire du livre, non seulement pour sa bibliothèque, mais aussi parce que l’institution a abrité le premier atelier typographique ayant fonctionné en France.
Parmi d’autres en effet, le monde des universités joue un rôle décisif dans la diffusion de la technologie nouvelle à partir de Mayence dans les décennies 1450 et 1460. Et d’abord, un grand nombre des premiers typographes sont des gradués de l’université, à commencer par Gutenberg lui-même. Bien entendu, Paris, capitale du royaume, cumule les indicateurs favorables pour accueillir l’art nouveau : Paris est la plus grande ville d’Europe sur le plan démographique (225 000 habitants vers 1500), le principal pôle économique et le centre de direction politique et intellectuelle de la France. On y reçoit très tôt des imprimés, le roi Louis XI aurait dès 1458 envoyé Jenson s’informer sur les techniques exploitées à Mayence et dans les années 1460 Fust et Schoeffer y écoulent une partie de la production imprimée mayençaise.
Mais la typographie en caractères mobiles sera en définitive introduite dans la capitale par le biais de réseaux individuels de maîtres et d’étudiants. Guillaume Fichet en est le premier personnage clé : né en 1433 dans le Faucigny, cet ancien étudiant d’Avignon et de Paris est socius de la Sorbonne en 1461. Il est recteur de l’université en 1467 et docteur en théologie en 1468. Envoyé en mission à Milan en 1469-1470, il y découvre l’humanisme italien, rencontre sans doute le cardinal Bessarion et en revient convaincu de l’importance de l’imprimerie...
À ses côtés, Jean Heynlin de Stein (Johannes de Lapide) est un Allemand (il s’agit de la ville de Königsbach-Stein, près de Pforzheim): cet ancien étudiant d’Erfurt, de Leipzig et de Louvain vient à Paris en 1453, et entre lui aussi au collège de Sorbonne. Il séjourne un temps à Bâle (1464-1466), où il est notamment doyen de la faculté des Arts, mais il poussera peut-être  jusqu’à Mayence. C’est à Bâle qu’il rencontre deux autres jeunes étudiants, Ulrich Gering, de Constance, et Michael Friburger, de Colmar. Il les aurait recrutés au cours d’un second voyage (1469-1470), ainsi qu’un de ses compatriotes originaire de Stein, Martin Krantz.
La première presse typographique française est installée par Heynlin en 1470 dans le collège qu’il dirige, la Sorbonne, Fichet définissant le programme éditorial et Gering, Krantz et Friburger assurant la marche de l’atelier. L’entreprise roule pour le public de l’université, et débute avec un manuel de latin, les Epistolae (= Lettres) de Gasparin de Bergame. Le manuscrit en a été transmis à Fichet par Heynlin, et ce premier livre imprimé à Paris se termine par les célèbres vers de Fichet à la gloire de la ville et de l’art nouveau qui vient de s’y implanter :
Comme le soleil, tu répands sur le monde les lumières de la science / O Paris, cité royale, mère des muses./ Toi, accepte le maintenant pour tes mérites / Cet art d’écrire presque divin qu’inventa la Germanie…  (trad. Jeanne Veyrin-Forrer)
Le début des travaux de réaménagement de la Sorbonne « historique » rendra probablement impossible d’entrer sur le site de celle-ci d’ici quelques mois. Même si la topographie n’est pas absolument superposable, comme le montre le plan de Truchet / Hoyau, la plaque apposée dans le hall de la Bibliothèque (cf cliché) commémore pourtant toujours l’événement de 1470.

Bibliogr. : Robert Marichal, Le Livre des prieurs de Sorbonne (1431-1485), Paris, 1987. Jacques Monfrin, « Les lectures de Guillaume Fichet et de Jean Heynlin d’après le registre de prêts de la Bibliothèque de la Sorbonne », dans BHR, 1955, XVII, p. 7-23.
Frédéric Barbier, dir., La Capitale des livres. Le monde du livre et de la presse à Paris, du Moyen Âge au XXIe siècle [catalogue d’exposition], Paris, Paris-Bibliothèques / PUF, 2007, 339 p., ill., couv. ill. en coul.

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