mercredi 6 octobre 2010

Histoire du livre: le Voyage pittoresque de la Grèce

Vient de paraître:
Frédéric Barbier, Le Rêve grec de Monsieur de Choiseul. Les voyages d'un Européen des Lumières, Paris, Armand Colin, 2010, 302 p., ill., index.

Voici un jeune comte, membre d'une des plus grandes familles de France, cousin du principal ministre de Louis XV et familier de la cour royale: mais ce mondain, élève de l'abbé Barthélemy, se passionne pour l'Antiquité grecque au point d'organiser lui-même un voyage de découverte de plusieurs mois en Grèce, en mer Égée et jusqu'à Constantinople.
Marié avec la fille unique d'un des hommes les plus riches de France, Choiseul, devenu Choiseul-Gouffier, se ruine en dépensant sans compter pour tenir son rang, mais aussi pour publier le récit de son voyage. Son Voyage pittoresque de la Grèce est un livre somptueux et très cher, et pourtant un remarquable succès de librairie: il figure dans toutes les grandes bibliothèques de l'époque. L'auteur a inventé une forme bibliographique nouvelle, dans laquelle le premier rang est donné à l'illustration. Il a lui-même réalisé un certain nombre des dessins ayant servi à la gravure des planches, et il fascine son lecteur en entremêlant le récit au quotidien d'un voyage extraordinaire et l'étude savante des vestiges de l'Antiquité découverts au fil de la route. Lui qui n'est évidemment pas un libraire crée pourtant, avec son livre, le genre bibliographique des "voyages pittoresques", qui se répandra dans toute l'Europe pendant un demi-siècle.
À peine âgé d'une trentaine d'années,  Choiseul-Gouffier, déjà membre de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, est élu au fauteuil de d'Alembert à l'Académie française. Sans aucune expérience diplomatique ni politique, et même partisan de l'indépendance de la Grèce, il est pourtant nommé à l'ambassade de Constantinople: un poste particulièrement difficile, mais où il compte surtout poursuivre ses études sur la Grèce et travailler à la continuation de son livre. Loin de sa famille, de ses amis et du monde parisien, il vivra rapidement son long séjour au Palais de France comme un exil de plus en plus pénible à supporter.
Représentant typique de la plus haute noblesse, camarade d'enfance de Talleyrand, l'ambassadeur n'en appelle pas moins de ses vœux une réforme profonde du système monarchique en France. Mais ce partisan de la réforme est bloqué à Constantinople par la Révolution, il ne pourra pas rentrer dans son pays et devra se réfugier auprès de Catherine II à Saint-Pétersbourg: de sorte que son long séjour sur les rives du Bosphore lui aura certainement sauvé la vie. L'un de ses fils se marie en Russie, et lui-même devient le premier directeur de la nouvelle Bibliothèque impériale de Russie.
Enfin rentré en France au tout début du XIXe siècle, largement ruiné et désormais séparé de sa femme, Choiseul-Gouffier abandonne la vie mondaine pour se consacrer tout entier aux études d'érudition et à la poursuite de son Voyage pittoresque, et pour créer à Paris, à partir des collections qu'il avait constituées avant la Révolution, l'un des premiers musées d'Antiquités. Il entreprend de faire construire à cet effet un bâtiment néo-grec sur les actuels Champs Élysées. La mort l'empêchera de conduire ces deux projets à leur terme.
Choiseul-Gouffier, ou l'histoire d'un rêve de savoir, de voyage et de livre, un rêve qui finit par envahir toute la vie de son auteur. Choiseul-Gouffier, ou l'itinéraire d'une vie individuelle, mais qui nous introduit de manière remarquable à une meilleurs compréhension de la situation en Europe au cours d'une période particulièrement complexe.

Ill.: le comte de Choiseul-Gouffier est bien entendu d'abord un "antiquaire", mais qui se découvre ethnologue lorsqu'il nous donne l'image la plus précise de la vie quotidienne des habitants des pays qu'il traverse. Ainsi d'un intérieur grec dans une île de l'Égée (2), ou de la cour du caravansérail sur une route d'Asie mineure (3). (Clichés F. Barbier).

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