mercredi 22 juin 2011

"Et maintenant ils pourront estancher leur soif à la fontaine de Dole": un imprimeur de la fin du XVIe siècle à propos de son installation

Dole est une ville d'importance relativement moyenne, mais qui réunit du XVe au XVIIe siècle un certain nombre d'institutions propres à une capitale, et donc susceptibles d'alimenter les activité de l'écriture et du livre. En tant que capitale de la Comté de Bourgogne (alias la Haute-Bourgogne, par-delà la Saône), Dole abrite en effet l'université, le Parlement et l'administration centrale de la Comté, la Monnaie, outre bien évidemment le Magistrat municipal, etc. Les maisons des Capucins et le Collège Saint-Jérôme, la présence de juristes et d'administrateurs, mais aussi d'une bourgeoisie négociante active, sont autant d'éléments qui expliquent la précocité et la profondeur de la civilisation livresque.
Cette richesse n'est pas nécessairement corrélée avec l'installation d'une ou de plusieurs imprimeries actives: comme dans le nord de la France actuelle, il est très facile de se procurer des imprimés en Suisse (Bâle...), en Allemagne du Sud et en Alsace (Strasbourg), à Lyon, voire à Paris, de sorte que Dole ne connaît au XVe siècle qu'un atelier épisodique: celui de Peter Metlinger, qui y donne une importante édition des Coutumes de Bourgogne en 1490.
L'imprimerie ne réapparaît ensuite que dans une tout autre conjoncture. Au XVIe siècle, la Comté jouxte des territoires passés à la Réforme luthérienne ou calviniste, de Montbéliard à la Suisse francophone, et devient elle-même un des pôles de la Contre-Réforme. Disciple d'Ignace de Loyola, Edmond Auger prêche le Carême à Dole en 1579, et la ville s’efforce dès lors de favoriser l’implantation d’un collège. Elle cède d’abord aux jésuites son propre Collège de grammaire, de sorte que ceux-ci peuvent ouvrir leur maison en 1582. Le succès est immédiat: au début du XVIIe siècle, le collège compte 13 classes et 800 élèves (1616), dans un complexe immobilier nouveau, caractérisé par son célèbre «arc». Une chapelle est érigée en 1601, et agrandie d’un porche en 1605 (cf. cliché).
C’est en liaison avec le collège jésuite que le premier imprimeur permanent est appelé à Dole en 1587: le Lyonnais Antoine Dominique, né et formé à Lyon, obtient en effet le soutien financier de la ville pour s'établir. Il inaugure son travail par l'impression d'un Advis du Jappon des années MDLXXXII, LXXXIII et LXXXIV (relations des missionnaires jésuites en Extrême-Orient) publié en 1587. De manière très intéressante, l'ouvrage s'ouvre par deux pages adressées par l'imprimeur au lecteur (cf. cliché: exemplaire de la Médiathèque de Dole), dans lesquelles il rappelle les conditions de son installation et dévoile ses projets. Ce texte intéressant directement l'historien du livre, est imprimé dans une élégante italique que Dominique s'est procurée à Lyon: nous le publions ci-après, en conservant scrupuleusement l'orthographe et la ponctuation originales.
«L’imprimeur au Lecteur, Salut. /
PVisque il à pleu à Dieu & à la Court sou- / veraine, ami Lecteur, qu’en ce Conté de / Bourgogne, il y eut imprimerie pour ob- / vier à tant d’inconueniens qu’on experi- / mente de iour à autre touchant la fourniture des liuvres / nécessaires pour la ieunesse, qui est instruite en divers / quarties d’icelluy, nommement en la ville de Dole, ou / aborde si grand nombre d’escoliers mesme depuis la / venue des Peres Iesuistes, qu’on est en grand peine de / trouuer les liures qu’il y fault lire, & ceux qu’o [sic] y trouue / les acheter bien chereme[n]t : ie me suis resolu d’entrepren- / dre ce chef d’œuure peu de iours y-a : & pour cest effect / me suis transporté en la ville de Lyon, pour y faire pro- / uision de toutes choses nécessaires a y donner heureux / commenceme[n]t a l’honneur & gloire de Dieu : qui a cou- / stume de fauoriser ceux qui travaille[n]t de bon cœur pour / le bien public. Et d’autant plus ardemment m’a esté / accordée l’entreprise, qu’on à veu à l’œil & comme / touché au doigt l’honneur & le lustre que receura a tout ce / pays par le moyen de l’imprimerie : voire le profit, pour / le meilleur marché delà denrée, & la commodité qu’il / y aura de cueillir dans son propre pays, ce qu’il failloit aller mendier ailleurs. Et d’autant que i’espere que le / progrez en sera mellieur, si la premiere presse sera bien / tirée, ce qu’aduiendra si elle rencontre un subiect qui / touche de plus pres l’honneur de Dieu, qui ne peut fail- / lir d’estre aggreable à un peuple bien Catholique : il m’a semble bon d’employer ma premiere sueur à imp- / primer les nouuelles les plus fresches du Iappon, m’as / seurant qu’elles seront tresbien receuës par tout ce Con- //
té comme elles sont par toute la Chrestienté, mesmes de / ceux qui prennent plaisir a ouyr les choses qui tournent à / l’advancement de la foy Catholique, du salut des ames, & de l’honneur de Dieu, & qui pourront par ce moyen / s’echauffer à mieux seuir & honorer celuy qui les à / tant chéris, qu’il les à tousiours assisté par un Prince si / Catholique, & les à défendus & preserues des attain- / ctes des ennemis de Dieu & de l’Eglise. Ioinct aussi que / plusieurs ont-ia faict instance d’estre participant de / ces nouuelles à qui on n’a peu satisfaire pour n’en auoir le moyen : & maintenant ils pourront esta[n]cher leur soif / à la fontaine de Dole, qui ruisselera son eau par tout le / pays. Que si ie voy ami Lecteur que tu ayes prins plai- / sir à ce petit commencement : apres avoir mis la main à / d’aultres choses qui sont propres des escholes, ie tasche / rayn si ie puis de recouurer les aultres choses memora- / bles & lettres escrites des Indes & du Iappon, des le / temps que lesdicts Peres Iesuistes y ont mis le pied, pour / t’en faire part. Prens donc ceste entrée d’aussi bon / cueur que ie te la presente, & me donne courage, de fai- / re tousiours renommer ta patrie de sorte que le renom / en demeure éternellement.»


NB: présentation de la séance foraine de Dole, 24 juin 2011.

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