samedi 21 mai 2016

À Rennes, une mémoire franco-allemande

L’Écomusée du Pays de Rennes propose, jusqu’au 28 août 2016, une exposition consacrée à Oberthür, imprimerie fondée en 1852 et que son succès a fait des décennies durant la première entreprise de ville. Passé sous la houlette de Néogravure en 1966, Oberthür, pourtant viable, est emporté par la chute du groupe en 1974, avant de devoir déposer définitivement le bilan en 1981.
L’exposition passe rapidement sur ce point, mais le nom de famille d’Oberthür nous ramène sur le Rhin à la fin du XVIIIe siècle, lorsque François Antoine Oberthür, né à Fulda en 1758, se marie à Strasbourg avec Marie Madeleine Hütter († 1854) et exerce comme perruquier dans cette ville (son père exerçait déjà la même profession, de même que son beau-père). Il décédera à Strasbourg, dans son domicile de la Grand’rue, en 1808.
Acte de décès de Marie-Madeleine Hütter, 1854 (Archives du Bas-Rhin, site Adeloch)
La Révolution donne un coup d’arrêt brutal à l’activité de perruquerie, et le fils de François Antoine, François Jacques Oberthür, né en 1793, s’oriente vers une tout autre branche d’activités: il se lance en effet dans le dessin et dans la gravure, puis dans l’édition lithographique. De son mariage avec Marguerite Salomé Kieffer naîtront deux enfants, François Charles (1818-1893) et Wilhelmina (1820- ?), mais la jeune épouse meurt en couches à en 1820, à vingt ans à peine.
Nous sommes pleinement dans un milieu transnational, et bilingue: son père vient d’Allemagne, et François Jacques Oberthür est lui-même appelé à Fribourg-en-Brisgau, où il enseigne la lithographie dans le cadre de l’Institut artistique (Kunstinstitut) de l’imprimerie-librairie Herder. Au lendemain de la chute de Napoléon, Barthomoläus Herder (1774-1839) a en effet pris pleinement  conscience du marché représenté par l’illustration, l’imagerie et la cartographie non seulement sur cuivre, mais aussi désormais en lithographie. La fondation de l’Institut artistique permet de former en dessin et en gravure un certain nombre de jeunes gens dans un domaine porteur. Parmi les jeunes apprentis, on note la présence des deux frères Franz Xaver et Hermann Winterhalter.
Dans les années qui suivent, François Jacques Oberthür se remarie avec Jeanne Caroline Zeitzmann, née à Iéna et elle-même fille d’imprimeur –les sources indiquent que le mariage a eu lieu à Gries, près de Bischwiller, mais nous n’en trouvons pas trace dans l’État civil de cette localité. Quoi qu’il en soit, Oberthür rentre en Alsace après son veuvage, et il s’établit comme miniaturiste et comme lithographe à Strasbourg, d’abord en association avec Boehm (1825), puis seul, à l’adresse de la rue des Dentelles (1828). Parmi les six enfants de ce deuxième lit, François Antoine lui succédera en 1861 comme imprimeur lithographe à Strasbourg, mais il est surtout connu pour son mariage avec Lucie Valentin, elle-même fille du nouveau préfet du Bas-Rhin nommé par le Gouvernement de la Défense nationale en 1870.
François Jacques Oberthür, Le Quai des bateliers à Strasbourg, 1840
Oberthür décède à Bischwiller en 1863. Le fondateur de la maison Oberthür de Rennes est en réalité son fils aîné, François Charles, lui aussi dessinateur et graveur. Après un apprentissage chez les frères Guérin et auprès du statuaire André Friedrich, il entre dans l’atelier paternel en 1831. Trois ans plus tard, il est choisi pour enseigner le dessin à la nouvelle École d’arts et métiers fondée à Strasbourg par Auguste Ratisbonne et alors dirigée par son fils Louis. Il peut être significatif d'observer que, si les confessions ne sont pas les mêmes (non plus que les niveaux de fortune!) entre les Oberthür et les Ratisbonne, l'histoire familiale est en revanche analogue. August Sussmann Hirsch Regensburger est en effet né à Fürth en 1770. Établi comme banquier et négociant à Strasbourg, il y préside le nouveau Consistoire israélite: le nom de Ratisbonne est choisi comme «nom définitif» de la famille à la suite du décret de Bayonne de 1808.
Mais revenons au jeune François Charles Oberthür, qui entreprend bientôt un périple pour compléter sa formation: il vient à Paris pour se perfectionner dans la lithographie, puis nous le retrouvons à Rennes, où il entre chez Marteville et Landais, imprimeurs lithographes. Cette étape sera décisive sur un double plan: d’une part, Landais propose au jeune homme, en 1842, de s’associer avec lui pour dix ans (Landais et Oberthür), avant de se retirer et de lui céder l’entreprise (1852). En 1844 d’autre part, Oberthür épouse Marie Hamelin, fille du libraire rennais François Marie Alexandre Hamelin. L’entreprise, qui s’adjoint une imprimerie typographique en 1854, est désormais lancée.
À côté des éclairages portés sur la conjoncture générale de la «librairie» en France au XIXe siècle, les Oberthür illustrent ainsi pleinement un certain nombre de logiques récurrentes dans le petit monde de l’émigration. Sans s’arrêter sur cette dimension de la monographie, l’exposition la prolonge pourtant en mettant l’accent sur des problématiques d’anthropologie historique particulièrement importantes, et qui touchent aussi bien au fonctionnement des solidarités qu’à l’esprit d’innovation, au modèle de la formation professionnelle, à l’articulation entre la famille et les affaires, aux conceptions paternalistes du fondateur de la «Maison de Rennes», au rôle des femmes ou encore à la vie quotidienne de la famille. 

Oberthür imprimeurs à Rennes, réd. Alison Clarke, Rennes, Écomusée du Pays de Rennes, 2015, 95 p., ill. ISBN 978-2-901429-38-8
Dominique Lerch, «Une famille de lithographes et ses implantations: la famille Oberthur à Strasbourg, Bischwiller et Rennes (vers1818, vers1893)», dans Le Vieux Papier, 341 (1996), pp. 289-304.

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