vendredi 13 mai 2016

Une famille de notables de Bourges à l'heure de la Renaissance

Nous évoquions dans un récent billet le rôle des négociants et des universitaires originaires des pays germanophones et venus à l’université d’Orléans, mais aussi à celles Bourges, voire de Poitiers, au tournant des XVe et XVIe siècles. Certains de ces personnages ont très probablement joué un rôle dans le transfert des idées luthériennes dans le royaume à partir de 1517-1518. Mais d’autres émigrés de la même origine sont établis bien antérieurement, qui parfois ont non seulement réussi sur le plan de la fortune, mais se sont aussi intégrés aux milieux les plus privilégiés de l’entourage royal.
Tel est le cas des Lallemant, négociants installés à Bourges au XIIIe siècle. Un siècle plus tard, Guillaume Lallemant compte parmi les personnalités à la tête de la ville, et des alliances ont été nouées avec les principaux lignages de notables, notamment les Chambellan. C’est Guillaume Lallemant qui achète progressivement le terrain, appuyé sur l’ancienne enceinte, sur lequel sera édifié un premier hôtel. Son fils, Jehan Lallemant, reçoit Louis XI à Bourges en 1461, et exerce à compter de 1481 comme receveur général de Normandie. Il meurt en 1494.
Les deux fils de Jehan portent  le même prénom que leur père, ils seront tous deux maires de Bourges, et ils obtiendront des charges très lucratives, l’aîné comme receveur général de Normandie (il meurt en 1517), le cadet comme receveur général de Languedoc (il meurt en 1521). Deux autres frères entrent dans le clergé: Guillaume sera notamment grand archidiacre de Tours, doyen de Tournai et chanoine de Bourges. Enfin, leur sœur se marie dans une famille de négociants de Florence.
Il est significatif de voir nos personnages s’employer à affirmer une forme de distinction culturelle, en s’appuyant notamment sur le livre et en constituant des bibliothèques pour lesquelles des commandes sont passés auprès d’un certain nombre d’ateliers de copistes et d’enlumineurs. Jehan Lallemant père fait ainsi copier par Jean Gomel, en 1489, un manuscrit des Antiquités judaïques de Flavius Joseph conservé à l’Arsenal (ms 3686). Guillaume Lallemant achète quant à lui à Bourges, en 1493, un manuscrit du Flosculus proverbiorum Salomonis, tandis que Jehan Lallemant le Jeune commande un livre d’Heures à Geoffroy Tory en 1506 –on sait que Tory, né vers 1480 à Bourges, exerce d’abord dans sa ville natale, avant que de venir à Paris d’ comme régent de collège. Le manuscrit est aujourd’hui conservé à Washington. Il est possible qu’un Missel de Tours également de provenance Lallemant et acheté par Pierpont Morgan en 1879 sorte aussi de l’atelier de Geoffroy Tory. Les armoiries ou des devises des Lallemant se retrouvent sur un certain nombre d’autres manuscrits également dispersés à travers le monde: plusieurs autres livres d’Heures et un Office de la Vierge à l’usage de Bourges (Officium Beatae Marie Virginis secundum usum Bituricenis) mais aussi un Roman de la rose et un De Consolatione de Boèce en latin et en français (BN, mss, lat. 6643).

Nous sommes ainsi devant un ensemble caractéristique des bibliothèques des élites liées à la cour, avec la préférence donnée aux manuscrits de luxe, avec pourtant aussi une part proportionnellement importante de livres à contenu religieux. Nous ajouterons, au chapitre de cette conquête de la distinction, le fait que la deuxième édition du De re ædificatoria d’Alberti (Paris, Rembolt, 1512), établie par Geoffroy Tory, est dédiée par lui à Jehan Lallemant le Jeune (cf clichés). Enfin, Marot lui-même rédigera une manière d’épitaphe collective, «Des Allemans de Bourges, récité par la déesse Mémoire».
On rappellera pour finir le fait que les Lallemant font construire, au lendemain du grand incendie de 1494, un somptueux hôtel particulier dans le style italianisant, et qui ce sont eux qui présideront notamment à l’entrée de Louis XII et d’Anne de Bretagne à Bourges en 1506. 

Outre les travaux d’Alain Collas sur les notables de Bourges aux XIVe-XVIe siècle, on consultera: Jean-Yves Ribault, «Note sur les origines de la famille Lallemant», dans Cahiers d’archéologie et d’histoire du Berry, n° 29, juin 1972, p. 62-64. Mécènes et amateurs d’art berrichons du Moyen Âge et de la Renaissance [catalogue d’exposition], Bourges, 1956 (ronéoté), p. 49 et suiv.

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